Des affrontements entre les jeunes Hema et Lendu dans la province de l’Ituri, au nord-est de la République Démocratique du Congo, ont éclaté en décembre 2017 et ont dégénérés en attaques au coup-pour-coup qui se sont rapidement propagées dans toute la province. Plus de 70 villages ont été détruits et environ 350 000 personnes ont cherché refuge en Ouganda voisin ou ont été déplacées à l’intérieur du pays. En juillet 2018, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a déclaré que ses équipes avaient reçu des informations faisant état de groupes armés commettant des massacres et rasant des villages entiers.
Cette flambée de violence est à l’image de l’instabilité croissante observée dans diverses régions de la RDC depuis que le président Joseph Kabila à de façon controversée prorogé son mandat présidentiel, au-delà du mandat constitutionnel qui a pris fin en décembre 2016. Elle a également rompu l’accord de paix créé par la Commission de pacification de l’Ituri en 2003, longtemps considéré comme un modèle de consolidation de la paix en RDC.
Le retour de la crise en Ituri est particulièrement alarmant car pendant la deuxième guerre du Congo (1998–2003), la province a été l’épicentre des combats les plus meurtriers du pays, tuant environ 50 000 civils et déplaçant plus de 500 000 civils.
Bien que les origines des derniers combats ne soient pas claires, les tendances sont similaires à celles observées précédemment. Ce qui signifie que les causes profondes n’ont jamais été traitées. Celles‑ci incluent l’instrumentalisation des identités ethniques par ceux qui arment les milices Hema et Lendu, l‘éviction forcée avec un ciblage délibéré des civils selon des critères ethniques par ces milices de zones riches en minéraux. Alors que la situation continue de se détériorer, la violence risque de se propager de nouveau dans les pays voisins et de les entraîner potentiellement dans les conflits complexes du Congo.
Comment l’ethnicité est instrumentalisée
Les plaines de l’Ituri, riches en pétrole, en bois, en or, en diamants et en coltan, ont été le théâtre de contestations de longue date entre les pasteurs hema et les agriculteurs lendu. La population lendu représente entre 750 000 et 1 million d’habitants, l’agriculture étant leur activité économique traditionnelle. Les Hema, qui comptent entre 300 000 et 400 000 personnes, contrôlent la plupart des plantations et des ranchs laissés par les colons belges. Au fil du temps, ils ont étendu leurs propriétés foncières, leur pâturage et leur élevage à grande échelle à Djugu au Nord, à Irumu au Sud et le long du lac Albert à l’Est, grâce au soutien des autorités locales et nationales. La demande d’un plus grand accès à la terre pour l’élevage et l’agriculture, la croissance rapide de la population et la diminution de la fertilité et de la disponibilité des terres ont été au centre des tensions entre les deux communautés.
La demande d’un plus grand accès à la terre pour l’élevage et l’agriculture, la croissance rapide de la population et la diminution de la fertilité et de la disponibilité des terres ont été au centre des tensions entre les deux communautés.
Au fur et à mesure que de nouvelles ressources étaient découvertes dans la région, l’Ituri devenait de plus en plus militarisé. Les élites locales, les hommes politiques et hommes d’affaires basés à Kinshasa ont commencé à armer les milices hema et lendu dans le but de contrôler leurs vastes richesses minérales et leur territoire. Les tensions se sont aggravées, la violence armée ayant éclaté en 1975 et à nouveau en 1991.
Alors que de plus en plus d’armes continuaient à affluer, les jeunes combattants hema et lendu ne ressentaient plus le besoin de se soumettre à l’autorité des conseils de médiation traditionnels, affaiblissant les mécanismes autochtones de gestion des conflits de l’Ituri. En outre, ceux qui ont financé ces milices ont utilisé l’incitation ethnique pour recruter davantage de combattants et mobiliser leurs bases de soutien selon des critères ethniques. Ainsi, les identités hema et lendu sont devenues un élément central du récit général du conflit, et les deux communautés ont alors commencé à se considérer comme une menace pour le mode de vie de chacun.
Finalement, une autre couche a été ajoutée à ce mélange explosif : l’ingérence régionale. La violence en Ituri pendant la deuxième guerre du Congo était bien pire que celle de 1975 et 1991. Pendant cette guerre, le Rwanda, et en particulier l’Ouganda, ont été accusés d’armer des milices basées en Ituri, initialement dans le cadre de leur campagne conjointe contre le gouvernement de la RDC et plus tard en tant que mandataires après la rupture des liens entre les deux anciens alliés. Après plusieurs séries de combats, les forces ougandaises sont restées campées en Ituri, étendant progressivement leur présence et contrôlant ainsi le gouvernement régional basé dans la capitale, Bunia. Les Hema et les Lendu ont également des liens de parenté avec les groupes ethniques en Ouganda et les enquêteurs des Nations Unies ont accusé les commandants ougandais locaux d’aggraver le conflit en utilisant ces affiliations culturelles pour renforcer leurs positions militaires et exploiter les richesses de l’Ituri illicitement.
Malgré l’accent mis sur l’ethnicité, la crise de l’Ituri est essentiellement politique. Au cœur, il y a une lutte pour le pouvoir entre les élites hema et lendu et leurs efforts, ainsi que ceux de leurs alliés basés à Kinshasa, pour contrôler l’administration et les ressources de la région.
Apprendre des précédents efforts de paix
Lancé en 2003 avec l’appui de la communauté internationale, le Comité de pacification de l’Ituri (IPC) a tenté de régler les violences qui avaient éclaté en Ituri pendant la deuxième guerre du Congo en s’attaquant aux dimensions internes et externes de la crise. Cela faisait partie d’un plan de l’ONU visant à établir une administration ethniquement équilibrée qui pourrait être un catalyseur pour la réconciliation. L’Angola et l’Ouganda, qui étaient directement impliqués dans la guerre, ont siégé à son comité préparatoire aux côtés des représentants des milices et du gouvernement de la RDC. Un cessez‑le‑feu négocié dans le cadre de ce processus a permis à l’Ouganda de mettre fin à son occupation de l’Ituri, de renoncer à son autorité à Bunia et de retirer ses forces. Cela a ouvert la voie à la création de l’Administration intérimaire de l’Ituri, dont les principales caractéristiques étaient les suivantes :
- Une assemblée spéciale intérimaire de 32 membres avec des représentants de toutes les communautés de l’Ituri
- Un comité de vérification de 18 membres qui s’est penché sur les causes de la crise et a élaboré des mesures pour prévenir de nouvelles escalades
- Un comité de sécurité présidé par la Mission des Nations Unies en RDC (MONUC) pour superviser le cantonnement des groupes armés et la démobilisation des enfants soldats
- Un comité des droits de l’homme de 17 membres chargé d’enquêter sur les atteintes aux droits humains
Cette administration a bénéficié du soutien des communautés de l’Ituri. Des conseils locaux ont été créés pour arbitrer les revendications territoriales, en particulier dans les territoires instables de Djugu et d’Irumu, parmi les régions les plus fertiles et riches en ressources du Congo, et parmi les plus densément peuplées. Ces conseils locaux, composés d’anciens Hema et Lendu respectés, ont géré les différends en utilisant des « valeurs communes » un principe au cœur des pratiques traditionnelles de résolution des conflits de l’Ituri. Pour davantage renforcer ces efforts, un accord a été signé à Dar‑es‑Salaam (Tanzanie) en 2003, qui engageait Kampala et Kinshasa à soutenir le processus de paix en Ituri. L’Ouganda a également accepté de s’abstenir d’entreprendre d’autres activités militaires dans la région.
Toutefois, le processus de stabilisation n’a pas été sans revers. Alors que les forces ougandaises se retiraient, de violents combats ont éclaté entre les milices hema et lendu qui luttaient pour contrôler Bunia. En mai 2003, l’opération militaire de l’Union européenne au Congo, connue sous le nom d’Opération Artemis, a déployé une force de réaction rapide de 4 000 hommes à Bunia et dans d’autres localités pour tenter d’apaiser les violences. L’amélioration de la situation sécuritaire a permis à la MONUC de superviser la démobilisation et le désarmement de ces milices, ce qui a créé un environnement plus favorable dans lequel l’Administration intérimaire de l’Ituri pourrait étendre ses initiatives de paix locales. Le processus de démobilisation a été renforcé par des forums de sécurité communautaires multiethniques supervisés par l’Administration.
Ces processus, en concert avec un engagement international en temps opportun, ont permis de rétablir la stabilité en Ituri et de maintenir la région relativement calme pendant les 15 années suivantes – jusqu’à ce que la violence reprenne en décembre 2017.
Tirer des enseignements du processus de pacification de l’Ituri
L’Administration intérimaire de l’Ituri était une tentative novatrice de résoudre un ensemble extrêmement complexe de conflits. Selon un observateur, « les personnes qui en faisaient partie appartenaient à des groupes ethniques différents. […] Ils ont été écoutés et ont eu beaucoup d’influence. […] En outre, il était clair depuis le début que le président ne pouvait être ni un Lendu ni un Hema et qu’une femme Alur avait donc été choisie comme chef. »
Grâce à ces innovations, l’Ituri est resté largement stable même après la dissolution de l’administration intérimaire par le gouvernement central, deux ans à peine après sa création. Certains politiciens nationaux ont estimé que cela entravait l’autorité de Kinshasa. Selon une opinion largement répandue, les institutions spéciales de l’Ituri auraient dû être élargies pour poser des bases plus solides pour la stabilité et servir de modèle pour résoudre des conflits similaires dans le reste du pays. L’intérêt international pour le soutien du cadre de l’Ituri ayant diminué, en partie parce que la violence avait diminué, les politiciens locaux et nationaux ont recommencé à s’imposer. En conséquence, les armes ont recommencé à affluer dans la région, car ces élites cherchaient à créer et à financer des milices pour exploiter les ressources de la région.
Alors que le refus de Kabila de respecter la limite de mandats présidentiels suscitait colère et incertitude, certains de ces groupes ont lancé des attaques meurtrières contre les installations gouvernementales.
Alors que le refus de Kabila de respecter la limite de mandats présidentiels suscitait colère et incertitude, certains de ces groupes, comme le Front intégrationniste nationaliste dominé par les Lendu, ont lancé des attaques meurtrières contre les installations gouvernementales, notamment la Commission électorale nationale, ainsi que des civils. Étant donné que la légitimité du gouvernement central a toujours été fragile dans les régions périphériques du Congo, une solution à la dernière crise en Ituri dépendra largement des progrès réalisés dans la recherche d’un règlement au niveau national.
Les enseignements tirés du processus de pacification de l’Ituri seront au centre de tout accord de paix en cours. Premièrement, la réconciliation inter‑groupes devrait être au cœur des efforts de stabilisation. Il convient de noter que même après la dissolution de l’Administration intérimaire de l’Ituri, les conseils de médiation traditionnels sont restés actifs dans toute la province et ont largement contribué à renforcer la résilience et la stabilité des communautés. Aussi, l’incitation ethnique devrait être rapidement sanctionnée, car elle estle principal facteur de violence meurtrière dans la province. Enfin, des mécanismes devraient être créés pour inciter les voisins de la région à jouer un rôle constructif dans la stabilisation de l’Ituri au lieu d’attiser le conflit à leurs propres fins.
Experts du Centre
- Paul Nantulya, Associé de recherche
- Dorina Bekoe, Professeure associée, Spécialisée dans la prévention, l’atténuation et la résolution des conflits
Ressources complémentaires
- Fiston Mahamba et Claude Sengenya, « Politics and Oil: The Unseen Drivers of Violence in Congo’s Ituri Province », IRIN News, 4 avril 2018.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « L’Église catholique de plus en plus visée par la violence gouvernementale en RDC », Éclairage, 23 avril 2018.
- Paul Nantulya, « Une mosaïque de groupes armés tire parti des effets de la crise du Congo », Éclairage, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 4 octobre 2017.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Drame en perspective en République démocratique du Congo », Éclairage, 13 septembre 2016.
- Dan Fahey, « Ituri: Gold, Land, and Ethnicity in North-eastern Congo », Rift Valley Institute, Usalama Project No. 4, 2013.
- Rigobert Minani Bihuzo, « Un chantier inachevé : Balise pour la paix dans les Grands lacs », Bulletin de la sécurité africaine N° 21, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, juillet 2012.
- Clement Mweyang Aapenguo, « La mauvaise interprétation des conflits ethniques en Afrique », Bulletin de la sécurité africaine N° 4, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, avril 2010.
En plus: Identité et Conflits conflit ethnique République démocratique du Congo